Une recherche pour agir face aux ruptures d’approvisionnement de médicaments
Ces dernières années, les ruptures d’approvisionnement de médicaments se multiplient. Si le phénomène ne surprend pas dans les pays en crise, où il est par ailleurs bien documenté, il est nouveau dans cette ampleur dans les pays à haut revenu comme la Suisse. En cause : l’indisponibilité croissante de certaines matières premières, les tensions géopolitiques et économiques, l’augmentation des risques d’accidents sur une chaîne de production de plus en plus segmentée, …
« L’enjeu de ce projet est double, explique Rose-Anna Foley, Professeure associée à HESAV, anthropologue spécialiste des usages et représentations des médicaments. D’abord, il s’agit de documenter les effets de ces ruptures et les adaptations mises en œuvre pour les gérer sur le terrain du point de vue des usager·es et des professionnel·les de santé. Ensuite, nous voulons proposer une évaluation critique des recommandations existantes. Nous ferons participer toutes les personnes concernées, en vue de faire évoluer les pratiques ». La recherche, financée par le Fonds national suisse, se déroule en partenariat avec le Dr Jérôme Berger, privat-docent et maître d’enseignement et de recherche clinique à la FBM et responsable de la Pharmacie d’Unisanté.
Documenter les adaptations du terrain
De l’inconfort au risque vital, les ruptures d’approvisionnement de médicaments pèsent lourd sur les patient·es. En bout de chaîne, ils et elles n’ont peu voire pas de marge de manœuvre pour réagir. « C’est d’autant plus le cas que la pharmaceuticalisation a gagné en ampleur dans les soins, commente Rose-Anna Foley. Ce sujet sera soumis à la discussion avec les personnes concernées. Il s'agit de réfléchir ensemble à la place que nous voulons laisser au médicament dans notre société, notamment au regard d’une volonté de sobriété. »
Côté pharmacie, une première enquête a déjà permis de lister les adaptations, pragmatiques mais parfois contraires aux recommandations usuelles, mises en œuvre au quotidien : utilisation des boîtes de médicaments non terminées, voire périmées, étalement des stocks, organisation d’un réseau de contacts entre pharmacies. « En moyenne, le personnel en pharmacie consacre un jour par semaine à la gestion sur le fil de la rupture des stocks », relève Rose-Anna Foley.
Evaluation critique
A ce panorama des pratiques, la recherche va ajouter une enquête sur les vécus des personnes directement concernées par des ruptures d’approvisionnement, leurs ressentis et leurs expériences. « C’est une première étape pour une évaluation critique des recommandations actuelles. Celles-ci sont basées, pour l’heure, davantage sur des projections que sur des observations réelles », relève Rose-Anna Foley. A ce titre, la collaboration entre pharmacie et anthropologie représente un appui privilégié pour une approche de type « smarter medecine ». Elle a déjà été éprouvée à l’occasion d’un Programme national de recherche (PNR74) en commun. Elle s'appuiera, pour ce projet, sur des théories de vie sociale des médicaments et de sociologie du risque.
Des focus groupes vont également permettre d’identifier les leviers les plus efficaces, partout sur la chaîne, déjà mis en œuvre à la marge ou non. L’objectif est de proposer des recommandations qui soient proches de l’expérience des usager·es en prenant en compte les adaptations déjà réalisées pour adapter les pratiques aux évolutions du terrain et réduire les conséquences de ces ruptures. « Patient·es et pharmacien·nes seront bien sûr représenté·es. Les médecins et les décideur·euses, les industries de fabrication et les compagnies d’assurance également ». De la production à la consommation en passant par la prescription, la chaîne sera passée sous la loupe.