Dispositif d'écoute musicale dans les chambres de soins intensifs en psychiatrie
Toutes ces qualités sont démontrées par le projet "Un dispositif d'écoute musicale dans les chambres de soins intensifs en psychiatrie : quel impact sur les interactions et sur le vécu subjectif des patient.e.s et des soignant.e.s ?".
Mené par Angelika Güsewell de HEMU, ce projet de développement réunit des chercheur.se.s de HESAV (Emilie Bovet et Gilles Bangerter) ainsi que Cédric Bornand de la HEIG-VD et s’appliquera dans trois institutions de soins psychiatriques dans le Canton de Vaud et en France.
L’équipe inter-institutionnelle a décroché un fonds au programme BREF – Innovation sociale 2017 pour cette recherche qui fait suite à un premier projet réalisé en 2016 sous forme de recherche-action. Sur 50 projets BREF déposés, seuls 5 ont été acceptés.
Le BREF, en bref
Le programme BREF – jeter des ponts repose sur une collaboration de la Fondation Gebert Rüf et de Swissuniversities. Ce programme, qui se consacre à l’innovation sociale, vise à promouvoir des projets Ra&D exemplaires pour le développement des HES, situés à l’interface entre la science, l’économie et la société. Il valorise les projets de coopérations nouvelles et prometteuses avec des partenaires de l’économie et de la société.
L’équipe HESAV intégrée à ce projet de recherche est formée de deux enseignant.e.s- chercheurs.euses à HESAV. L’une, Emilie Bovet, est sociologue spécialisée en santé mentale, le second, Gilles Bangerter, est infirmier en psychiatrie.
Rencontre avec Gilles Bangerter et Emilie Bovet
Etablissez-vous des ponts entre recherche et enseignement ?
Bien sûr. Ce type de recherche est directement intégré dans la formation des futur.e.s soignant.e.s. Les étudiant.e.s sont formé.e.s à développer un regard scientifique sur les pratiques. Ainsi, l’application des soins découle de travaux qui ont été menés de manière rigoureuse. C’est une opportunité majeure. Ce qui est essentiel, c’est la collaboration entre enseignement et recherche appliquée qui permet de mettre à disposition des savoirs variés, ainsi que la collaboration inter-institutions.
De quoi s’agit-il ?
Le projet vise à évaluer des dispositifs d'écoute musicale en chambres de soins intensifs dans plusieurs institutions psychiatriques en Suisse et en France. Il s’agit là de la 2ème étape de la recherche dans ce domaine. Conduit entre 2012 et 2016, le premier projet baptisé Amenhotep, a développé un dispositif d’écoute musicale destiné à être utilisé dans les chambres fermées en psychiatrie.
En effet, le personnel soignant a remarqué que ces patient.e.s en soins intensifs de psychiatrie demandaient à écouter de la musique. Or le protocole interdit les dispositifs privés (ipods, natels, etc.) pour des raisons de sécurité. Diffuser un programme musical global pour tous les patient.e.s n’était pas plus satisfaisant, même si le fait d’avoir de la musique était positif. Les patient.e.s, dans cet univers contraignant, avaient en particulier besoin de pouvoir être en contrôle de leur environnement musical. Le défi a été de mettre à disposition une interface inoffensive, pilotable en toute liberté depuis la chambre. Les défis techniques que cela représentait justifiaient la collaboration avec des ingénieurs.
En effet, le partenariat inter-institutionnel est à relever…
Oui, il s’agit d’un dispositif de partenariat original qui implique trois Hautes écoles : HEMU (la musique), la HEIG-VD (la technique) et HESAV (la santé). L’équipe est complétée d’Alexia Stantzos infirmière spécialiste clinique au Département Psychiatrie du CHUV, secteur Nord et de Matthieu Thomas, assistant de recherche, sociologue (HEMU).
Cela nous permet de rassembler des compétences très complémentaires, toutes nécessaires à ce projet.
Quels sont les effets de la musique ?
Dès le début, l’idée de la musique médicament a été écartée, sur la base de la littérature scientifique. Restait à déterminer quelle musique mettre à disposition et pourquoi. L'équipe de la HEMU a préparé une liste de musiques de différents styles. En se basant sur les travaux effectués par le Département des Sciences affectives de l’UNIGE, elle a testé ces musiques sur un public cible, pour les répartir en 4 catégories émotionnelles de 5 titres chacune. Ces musiques ont ainsi été sélectionnées pour leur capacité à susciter ou refléter des émotions. Le fait de réécouter le même morceau en fonction d’un état mental permet aux patient.e.s de s’accorder à la musique.
Et aujourd’hui ?
La seconde partie du projet consiste à corréler les choix musicaux avec d’autres données afin d’améliorer la compréhension et donc l’accompagnement de patient.e.s en situation de crise.
Les 4 catégories émotionnelles de musique ont été conservées. Mais, cette fois, les chercheur.euse.s auront la possibilité faire le lien avec les données diagnostiques et d’enregistrer les activités des patient.e.s. L’équipe pourra obtenir un feed-back de leur part par le biais de questionnaires et d’interviews et faire de même auprès de l’équipe soignante.
Le projet a été monté en accord avec les recommandations de la Commission d’éthique pour respecter la sphère privée des patient.e.s, qui seront informé.e.s de la recherche et appelé.e.s à donner leur consentement.
Où sera menée l’étude ?
Des chambres ont été spécialement équipées sur trois sites : l’hôpital psychiatrique Saint-Cyr au Mont d’Or à Lyon, l’hôpital psychiatrique de la Fondation de Nant et l’hôpital psychiatrie du Nord vaudois, Département de psychiatrie du CHUV. Les chambres non équipées serviront de contrôle.
Quels sont les résultats attendus ?
Pour disposer d’un échantillonnage quantitativement valable, l’équipe espère pouvoir réunir une centaine de patient.e.s, durant 18 mois.
Au vu de la quantité de données qui seront enregistrées, un premier volet sera quantitatif et permettra, par exemple, de préciser quel morceau correspond à certains états mentaux.
D’autres retombées positives sont aussi attendues pour les patient.e.s. D’une part, le dispositif permet à des patient.e.s en état de crise d’interagir avec leur environnement – par l’intermédiaire de la musique – sans devoir utiliser des mots. D’autre part, la musique peut devenir une thématique de discussion avec les soignant.e.s, qui permet de parler d’état mental tout en parlant d’autre chose.
L’équipe espère ainsi offrir un début de réponse à ces questions : la durée de séjour se trouve-t-elle modifiée par le dispositif d’écoute musicale ? Le vécu de cette expérience en chambre fermée est-il différent ? Le dispositif permet-il de construire une meilleure alliance pour la suite du traitement ?
On peut en effet imaginer que ce dispositif permette d’« ouvrir » cette chambre close et/ou d’en faire un espace de protection où les patient.e.s se sentent protégé.e.s et apaisé.e.s. Un autre espoir est que les patient.e.s qui sont passé.e.s par là soient moins traumatisé.e.s par leur retour en chambre fermée en cas de rechute. La demande de la chambre équipée pourrait alors être incluse dans des directives anticipées.
A cet effet, nous pouvons citer l’anecdote d’une patiente qui, après être sortie de la chambre, a demandé à y retourner de temps en temps pour écouter la musique car elle vivait alors un moment calme et protégé du reste de l’unité.