Des chatbots pédagogiques au service de l’enseignement en santé

Des chatbots pédagogiques au service de l’enseignement en santé
Depuis le début de l’année 2025, HESAV intègre des chatbots pédagogiques dans ses dispositifs de formation. L’objectif est de proposer aux étudiant·es un entraînement interactif et réaliste, pour entraîner des compétences clés comme l’anamnèse ou la pensée réflexive. Ces outils favorisent l’autonomie, la rétroaction immédiate et le développement progressif du jugement clinique.

Ces projets s’inscrivent dans le cadre d’un programme en lien avec l’initiative « pour des soins infirmiers forts » adoptée le 28 novembre 2021 et lancée par Swissuniversities dans le cadre des « Projektgebundene Beiträge », plus fréquemment appelé PGB. Il s’agit de financements fédéraux destinés à soutenir des projets innovants. Ce programme a pour but d’accroître l’attractivité de la filière Soins infirmiers et d’augmenter le nombre de diplômé·es, notamment en soutenant la réussite des étudiant·es.

L’encouragement du PGB à intégrer de nouvelles technologies a donné lieu à des innovations pédagogiques portées par un groupe d’enseignant·es de la filière Soins infirmiers, accompagné par l’expertise de Mathieu Bouchard, technopédagogue, pour leur mise en oeuvre.

À ce jour, deux prototypes ont vu le jour à HESAV :

  • le premier, conçu par Luca Scuderi et Claire de Staercke, simule un·e patient·e réaliste à partir d’une fiche clinique complète et réagit de manière cohérente au ton et aux formulations de l’étudiant·e, l’aidant ainsi à s’entraîner et à mener une anamnèse de manière efficace ;
  • le second, développé par Imène Darbeida et Marjorie de Goumoëns, prend la forme d’un chatbot réflexif, qui stimule le raisonnement en questionnant, orientant et challengeant l’étudiant·e afin de développer son jugement clinique.

PROJET 1 : Enrichir l’anamnèse avec l’intelligence artificielle

Responsables d’un module d’initiation à l’anamnèse en 1re année de Soins infirmiers, Luca Scuderi et Claire de Staercke ont expérimenté l’usage de ces technologies dans leur dispositif pédagogique. Leur objectif : préparer les étudiant·es à mener un entretien clinique efficace, en les aidant à poser les bonnes questions pour recueillir les informations essentielles sur un·e patient·e dans un temps limité.

Jusqu’à récemment, ce travail se faisait en groupe. Mais comme souvent dans les activités collectives, l’implication variait d’un·e étudiant·e à l’autre. C’est ce constat qui a motivé les enseignant·es à développer un chatbot pédagogique simulant un·e patient·e fictif·ve.

Des patient·es virtuel·les bluffant de réalisme

Conçus à partir de fiches détaillées imaginées par les enseignant·es (contexte de vie, antécédents, personnalité, troubles de santé, environnement social, etc), les patient·es virtuel·les sont intégré·es dans une interface conversationnelle. Mathieu Bouchard, expert en technopédagogie, a accompagné le développement de cette étape en veillant à la cohérence et au réalisme des réponses générées, en adéquation avec chaque vignette clinique. Grâce à l’intelligence artificielle, les réponses s’adaptent aux formulations et aux didascalies proposées par l’étudiant·e, en respectant la personnalité attribuée au·à la patient·e.

« Ce qui est bluffant, c’est la justesse des réactions. On a vraiment l’impression d’échanger avec un vrai patient », souligne Luca Scuderi.

Exemple d'interaction avec le chatbot d'entraînement à l'anamnèse
Exemple d'interaction avec le chatbot d'entraînement à l'anamnèse

Et l’exemple qui a marqué la classe est parlant : lors d’un scénario avec un patient très méfiant atteint d’hépatite et ayant très peur de mourir, aucun·e étudiant·e n’a réussi à obtenir une information clé sur une potentielle consommation de drogues… sauf une. Stupéfaction générale dans la salle de classe.

Contrairement à ses camarades qui ont posé la question frontalement au patient, elle a formulé la question ainsi : « Je ne suis pas de la police. Mon objectif, ce n’est pas de vous dire si c’est bien ou mal, mais dans le cadre de votre hépatite j’ai besoin de cette information pour éviter des interactions potentiellement mortelles avec le traitement. »

Avec cette formulation, le patient virtuel a admis sa consommation d’héroïne. Une preuve que la clé de l’anamnèse réside dans la capacité à comprendre la personne en face.

Un outil d’entraînement complémentaire

Ce type de support permet aux étudiant·es de tester différentes approches, de s’entraîner à leur rythme, et de recevoir un retour personnalisé sur leur progression. « On remarque que plus ils s’entrainent avec l’outil, plus le recueil de données est abouti », note Claire de Staercke.

Loin de remplacer les échanges en classe et les patient·es simulé·es, le chatbot complète l’expérience de formation en offrant un entraînement supplémentaire, que l'étudiant·e à la possibilité de poursuivre depuis chez lui également.

Trois scénarios sont actuellement disponibles, chacun d’eux invitant l’étudiant·e à rencontrer la personne et à s’intéresser aux trois sphères de l’anamnèse : la santé, la personne et l’environnement. Ce travail s’inscrit dans une démarche pédagogique évolutive, avec un objectif final : la préparation à l’examen, qui reste réalisé avec une personne qui joue le rôle du / de la patient·e.

Prochaine étape ? Le développement d’une version gratuite et illimitée pour tous les étudiant·es et l’intégration d’une fonctionnalité orale, permettant de rendre la simulation encore plus réaliste.

PROJET 2 : Stimuler la réflexivité des étudiant·es avec ChatGPT

Fruit des réflexions menées conjointement par Imène Darbeida, Marjorie de Goumoëns et Mathieu Bouchard, un projet d’intégration d’un chatbot à visée réflexive pour développer le jugement clinique a vu le jour. L’appui technopédagogique de Mathieu Bouchard a joué un rôle central pour transformer ces réflexions en expérimentations concrètes, articulées dans deux contextes distincts mais complémentaires.

Soutenir la culture scientifique de l’étudiant·e (3ᵉ année de Bachelor)

La première expérimentation a été menée dans le cadre du module Culture scientifique, alors sous la responsabilité d’Imène Darbeida. Nourri par différents cadres théoriques, le chatbot reposait sur une base de données dynamique. Son objectif : amener les étudiant·es à dialoguer avec une interface capable de les interroger, de les orienter, et de stimuler leur raisonnement clinique et leur jugement.

Intégrée dans une activité encadrée par les enseignant·es, l’expérimentation plaçait le chatbot comme miroir critique venant structurer la pensée des étudiant·es jusqu’à la réalisation même de l’examen formatif, soutenue par cet outil. Les retours ont été très positifs : les étudiant·es ont eu le sentiment que l’outil les poussait à se poser des questions inédites et à croiser leurs réflexions. Les enseignant·es ont également observé une plus grande confiance dans la prise de décision, traduisant l’atteinte des objectifs visés.

Constituer une interface au sein de l’alternance (2ᵉ année de Bachelor)

En parallèle, une seconde expérimentation a été conduite dans le cadre du dispositif BS4 – Journées stage/école. Dans ce contexte, le chatbot jouait le rôle d’interface entre l’école et le stage, sollicitant l’autonomie des étudiant·es et ouvrant sur de nouveaux enjeux pédagogiques.

Cette expérimentation a cependant été accueillie avec davantage de réserves : certain·es étudiant·es ont exprimé des inquiétudes, craignant par exemple que l’outil « pousse à tricher ». Pour l’équipe pédagogique, cela révèle un besoin d’acculturation et de clarification des intentions pédagogiques auprès des étudiant·es .« Il est essentiel de rappeler clairement les finalités de l’outil, de rassurer les étudiant·es et de cadrer l’activité. Le chatbot ne remplace pas l’intelligence humaine, il l’accompagne », précise Imène Darbeida.

ces chatbots ont un rôle central de facilitation

Pour Imène Darbeida et Marjorie de Goumoëns : « Ces deux expérimentations montrent que la pertinence d’un tel outil repose autant sur la clarté des intentions pédagogiques que sur le rôle de facilitation des enseignant·es. »
L’intervention de Mathieu Bouchard a permis de concrétiser la dimension technopédagogique, tandis qu’Imène Darbeida et Marjorie de Goumoëns ont assuré l’ancrage académique et pédagogique dans des contextes distincts. Ensemble, ils et elles ont ainsi démontré que le numérique peut devenir un levier puissant pour soutenir la réflexivité et la culture scientifique des étudiant·es en Bachelor Soins infirmiers.

« Ce n’est pas un chatbot qui donne des réponses toutes faites, mais un outil qui développe la pensée critique et soutient le raisonnement analytique », explique Imène Darbeida.

vers une démocratisation de ces dispositifs

Comme le précise Imène Darbeida : « l’ambition est désormais de franchir un cap :  soutenir l’émergence d’une véritable culture numérique partagée, en formant les étudiant·es et les formateur·trices à un usage critique, éthique et responsable de l’IA, en cohérence avec les objectifs stratégiques de la HES-SO. »

Elle ajoute : « Ces chatbots ne sont pas seulement des outils complémentaires : ils ouvrent des perspectives inédites pour renforcer la réflexivité et l’autonomie des étudiant·es. »

Au delà de l’expérimentation, il s’agit désormais de démocratiser ces dispositifs pour transformer durablement les pratiques pédagogiques, comme l’a affirmé M. René Graf, Vice recteur à l'enseignement de la HES-SO dans son message sur l’IA et le numérique : « Nous devons mobiliser ces technologies pour repenser l’enseignement et préparer nos étudiant·es aux défis de demain. » (HES-SO,  2025, Transformation numérique et intelligence artificielle).

Exemple d'interaction avec le chatbot pour stimuler la réflexivité des étudiant·es
Exemple d'interaction avec le chatbot pour stimuler la réflexivité des étudiant·es

« Ce type d’outil ne retire rien à ce que nous faisons déjà »

D’autres enseignant·es de HESAV manifestent déjà leur intérêt. Les chatbots pourraient s’intégrer à différents moments-clés du cursus. Ils offrent notamment une opportunité pour les étudiant·es n’ayant pas eu accès à des situations cliniques complètes en stage, de valider des compétences grâce à des simulations structurées et adaptatives.

À celles et ceux qui sont réticent·es à utiliser ces technologies, Luca Scuderi encourage à se lancer car « On ne prend aucun risque. Ce type d’outil ne retire rien à ce que nous faisons déjà en classe, au contraire, il constitue une réelle plus-value. Il ne remplace ni la présence des enseignant·es, ni la richesse des échanges ou le contenu du cours. Bien sûr, les premières versions ne sont pas parfaites, mais elles s’ajustent progressivement. Jusqu’à présent, nous n’avons constaté aucun effet négatif. »

Luca Scuderi souligne également la richesse de la collaboration avec Mathieu Bouchard : « Il ne s’est pas contenté de mettre l’outil en forme, il lui a véritablement donné vie, avec une finesse de compréhension des objectifs pédagogiques ».