Des choix atypiques de formation

Si les professions tendent à devenir de plus en plus mixtes, des domaines comme l'ingénierie et la santé restent très genrées. Qu'en est-il des personnes qui font le choix atypique d'une profession relevant ordinairement de l'autre sexe ? Comment se passe leur intégration professionnelle ?

Séverine Rey, Professeure ordinaire à HESAV, s’intéresse de près à cette question. Elle nous en dit plus sur sa recherche financée par le Fonds National Suisse (FNS).

Comment s’intitule votre recherche et avec qui la menez-vous ?

La recherche s’intitule « Regards croisés sur l’insertion professionnelle des diplômé-e-s minoritaires selon le sexe dans les domaines de la santé, du travail social, de l’ingénierie et de l’architecture ». Elle est financée par le FNS, et le Fonds interdomaine de la HES-SO participe aussi en partie car le projet est une co-requérance avec ma collègue Morgane Kuehni de l’EESP. Les autres membres de l’équipe sont Rachel Fasel et Ophélie Guélat, collaboratrices de recherche à HESAV.

Pouvez-vous résumer cette recherche en quelques mots ?

Nous travaillons sur l’insertion professionnelle des diplômé.e.s HES qui ont choisi une profession où les représentant.e.s de leur sexe sont minoritaires (des professions féminisées ou masculinisées). Le projet se concentre sur les quatre domaines de la HES-SO qui sont les moins mixtes : ingénierie et architecture pour les femmes, santé et travail social pour les hommes. Parler d’insertion implique d’observer et d’analyser l’entrée des diplômés sur le marché du travail, soit les cinq premières années de vie professionnelle.

Comment se déroule cette recherche ?

La recherche contient trois volets. Nous avons commencé par une analyse secondaire des données statistiques de l’OFS sur le devenir des diplômé.e.s HES, un an et cinq ans après l’obtention de leur bachelor. Cette analyse tient compte de tou.te.s les diplômé.e.s, qu’ils soient minoritaires ou majoritaires.

Le deuxième volet se concentre sur l’accueil réservé à ces « minoritaires » par les entreprises et les institutions en Suisse romande (un axe orienté sur les directions et les services RH). L’objectif est d’étudier ce qu’il se passe concrètement sur le terrain en termes d’accueil et de soutien à la carrière. Nous avons terminé les entretiens (une vingtaine) et entrons dans la phase d’analyse.

Dans un troisième temps, nous allons nous entretenir avec les diplômé.e.s (entre 30 et 40 personnes) et analyser leur parcours d’insertion. Nous nous interrogeons sur ce que ces choix impliquent dans leur vie professionnelle, mais aussi dans leur vie privée (conciliation, soutien des familles, etc.).

A ce stade du projet, quels constats pouvez-vous déjà faire ?

Au niveau de l’analyse statistique, notre postulat de départ se confirme : nous constatons des effets de genre. C’est-à-dire que les femmes ont plus de difficultés à accéder à des fonctions dirigeantes dans les cinq premières années, surtout en architecture et en travail social. Elles gagnent aussi moins que les hommes, et l’écart se creuse entre la première et la cinquième année post-diplôme. Sur cette même période, nous constatons également que la satisfaction au travail baisse et c’est ce que nous sommes actuellement en train d’approfondir.

En ce qui concerne le versant institutionnel de l’insertion (RH), nous n’avons pas encore assez avancé dans l’analyse, mais nous pouvons d’ores et déjà constater qu’il y a peu (voire pas) de mesures spécifiques qui sont mises en place pour intégrer les « minoritaires ». Cela pose des questions notamment sur ce que l’on appelle, en sociologie, la ségrégation verticale (la poursuite de la carrière et l’accès à des postes de cadre), mais aussi sur la ségrégation horizontale, autrement dit la division du travail dans les équipes et la réorientation des « minoritaires » vers des activités spécifiques, qui seraient plus « appropriées » à leur sexe (par exemple les femmes vers des activités plus « relationnelles » comme le support-client en informatique ou les hommes vers les soins aigus dans les hôpitaux). Dans une précédente étude, nous avions analysé les parcours atypiques de formation et avions constaté que les hommes étaient bien accueillis dans le domaine de la santé alors que les femmes devaient faire leurs preuves et que leur choix était régulièrement remis en question.

Quels sont les résultats attendus ? Et comment les utiliser pour faire changer la situation ?

L’objectif de la recherche est de mettre en lumière les différences de trajectoires et de formuler des recommandations aux services RH, mais aussi aux hautes écoles (HES-SO), afin de les sensibiliser à cette thématique et d’inciter à des mesures concrètes pour faciliter l’intégration professionnelle et les carrières des minoritaires. Notre recherche est une contribution à la réflexion sur les mesures à prendre dans le contexte actuel de pénurie de main-d’œuvre qualifiée, qui touche en particulier la santé et l’ingénierie.