Travail et grossesse : pourquoi une consultation spécialisée avec la médecine du travail ?
La loi suisse impose aux employeurs de protéger leurs salariées pendant leur grossesse et l’allaitement. « Dans le cas où l’employeur ne peut pas garantir la sécurité de la salariée enceinte, le ou la gynécologue lui fournit un certificat médical d’inaptitude, explique Alessia Abderhalden, Adjointe scientifique à HESAV et chargée de recherche à Unisanté. En congé préventif, sa rémunération est de 80% au minimum de son salaire, à la charge de l’employeur et non de l’assurance perte de gain. »
Cependant, il est parfois difficile pour les gynécologues d’évaluer la dangerosité des conditions de travail pour leurs patientes, ou pour les employeurs de réaliser les aménagements nécessaires pour assurer la santé de leurs collaboratrices enceintes. La consultation spécialisée en médecine du travail répond notamment à ces enjeux. A cette occasion, le ou la médecin réalise une anamnèse de la patiente, s’enquiert de sa situation professionnelle, l’informe de ses droits. « L’objectif est d’assurer leur protection dans le cadre de la grossesse, mais aussi d’accompagner les employeurs dans le processus OProMa (Ordonnance sur la Protection de la Maternité au travail) pour mettre en place les adaptations nécessaires », précise Alessia Abderhalden. Analyse de risques, aménagement de poste, modification des tâches, transfert sont autant de pistes pour maintenir les travailleuses en emploi jusqu’au terme de leur grossesse.
L’étude menée par UNISANTE en partenariat avec HESAV s’est penchée très concrètement sur les bénéfices de cette consultation pour toutes les parties prenantes. En toile de fond, l’ambition est d’obtenir les données nécessaires pour mieux la faire connaître, notamment au sein des entreprises, accroître ses performances et assurer la suite de son financement et de son développement pour favoriser un accès équitable.
Mesurer les apports de la consultation spécialisée
Les résultats de l’étude montrent combien la consultation en médecine de travail offre des solutions pour toutes les parties prenantes. Ainsi, les dangers liés au travail ont pu être écartés dans au moins 44% des 272 situations professionnelles traitées par le ou la médecin du travail dans le cadre de la consultation.
Les parties prenantes ont apprécié le dispositif de la consultation. Toutes soulignent l'utilité des informations fournies par les médecins du travail sur les expositions professionnelles à risque ainsi que sur le cadre juridique protégeant la maternité au travail.
« L’analyse des coûts et des bénéfices a également montré que tout le monde gagne à respecter la loi sur le plan économique », constate Alessia Abderhalden. En anticipant l’analyse des risques, on peut éviter l’interruption du travail. La salariée ne subit aucune perte de salaire et l’employeur minimise considérablement les frais. « Dans la situation actuelle, les femmes sont en général en arrêt le temps que de l'adaptation de leur poste. Les frais engagés par l’employeur sont ainsi élevés, parce qu’il faut rémunérer l’arrêt, peut-être un remplacement, et adapter le poste dans l’urgence ».
Les défis qu’il reste à relever
Si les parties prenantes ont majoritairement exprimé de la satisfaction vis-à-vis de la consultation, des difficultés persistent pour mettre en œuvre les recommandations du ou de la médecin du travail. « Il est souvent difficile de mettre en pratique les recommandations légales dans les contextes professionnels. A quelle fréquence considère-t-on une tâche physiquement éprouvante comme « occasionnelle » ? Ce manque de précision peut entraîner des interprétations variables de la loi au sein des milieux professionnels ».
Globalement, l’enjeu principal est de sensibiliser les personnes concernées à l’existence et à l’importance de cette consultation. Peu d’entreprise font appel aux spécialistes de santé au travail habilité·es ou disposent de services internes de santé au travail. « Les consultations ont lieu en moyenne à la fin du 5e mois de grossesse, note Alessia Abderhalden. C’est tard pour intervenir. » De plus, si 39% des entreprises ont affirmé avoir mis en place des aménagements avant la consultation, seuls 8% de ceux-ci ont bien été réalisés sur la base d'une analyse de risques, comme le préconise la loi. 40% des entreprises n’avaient par ailleurs aucune connaissance de l’OProMa.
« Dans le cadre de cette étude, plusieurs actions ont pu être réalisées pour mieux faire connaître la consultation et ses bénéfices auprès des professionnel·les de la santé, des salariées et des employeurs », annonce Alessia Abderhalden. Des actions concrètes telles que le déplacement de la consultation au CHUV et la présence d’un·e interprète favorisent l'accès à un plus grand nombre de femmes concernées et améliorer l’offre des soins. Elle recommande également d’étendre la consultation, par exemple en ouvrant de nouvelles antennes. Début mars, l'équipe de recherche a présenté ces résultats auprès du Grand Conseil à Lausanne, afin d’envisager la mise en œuvre de ces pistes d’action.
L'équipe du projet
Responsables de l’étude : Peggy Krief, Médecin du travail cadre, MER clinique, Unisanté et Isabelle Probst, Psycho-sociologue, Professeure associée à HESAV, HES-SO
Membres de l'équipe : Alessia Abderhalen-Zellweger, Adjointe scientifique à HESAV, et Julien Vonlanthen, Chargé de recherche à Unisanté.
Pour plus d’information : le projet sur le site de Unisanté.