La relève doctorale engagée pour agir sur les conséquences des violences sexuelles en RDC

Enquête sur les données de prévalence, examens cliniques, étude des représentations socioculturelles : le projet porté, à HESAV, par Jeanne Bertuit est le premier d’une telle envergure qui documente les violences sexuelles en République Démocratique du Congo et leurs conséquences sur la santé des femmes. Au sein de l’équipe, deux doctorant.es, Andy-Müller Nzinga Luzolo et Tara Reman, contribuent à cette recherche. Portrait d’une relève engagée.

Les violences sexuelles, quel qu’en soit le type, entraînent des conséquences profondes sur la santé physique et mentale des personnes concernées. Ces dernières restent pourtant mal documentées sur le long terme. La République démocratique du Congo (RDC) ne dispose par exemple pas de données nationales sur la prévalence ni des violences sexuelles, ni des dysfonctionnements pelvi-périnéaux qui en découlent : urinaires, anorectaux, sexuels, gastrointestinaux ou psychologiques.

C’est la mission que se sont donnée Andy-Müller Nzinga Luzolo et Tara Reman. Intégrées dans un projet plus large visant à évaluer la santé pelvienne des femmes en RDC, leurs recherches doctorales en physiothérapie ont vocation à combler un manque, aussi bien dans les savoirs scientifiques que dans les compétences cliniques en matière de diagnostic et de rééducation. Ce projet est issu d’une collaboration entre la professeure Jeanne Bertuit (HESAV, Suisse) et la professeure Betty Miangindula (Université de Kinshasa, RDC)

Documenter les dysfonctionnements pelviens

Andy-Müller Nzinga Luzolo obtient une Licence de Médecine Physique en Physiothérapie à l’Université de Kinshasa, en RDC. Depuis, il cumule enseignement, recherche et pratique clinique. Sa présence sur le terrain lui permet d’être témoin et experts des dysfonctions pelviennes trop peu considérées. Il est ainsi le premier à publier, en 2020, un article qui dresse un panorama descriptif et épidémiologique de l’incontinence urinaire chez les femmes en RDC.

Son travail doctoral s’inscrit dans la continuité de ses préoccupations de santé publique : documenter les dysfonctionnements périnéaux des femmes en RDC, c’est éviter les erreurs de diagnostic et les errances médicales, c’est proposer des prises en soin adéquates et efficaces pour améliorer la qualité de vie des populations. « Au pays, quand les femmes ont des douleurs pelviennes chroniques et qu’aucune cause gynécologique n’est trouvée, on suppose que c’est un problème utérin, raconte Andy-Müller. La réponse, c’est alors d’enlever l’utérus, alors que cela pourrait être un dysfonctionnement pelvipérinéal pouvant être traité par de la rééducation en physiothérapie ».

Au-delà des questions cliniques, des enjeux sociaux, culturels et économiques

Physiothérapeute, Tara Reman pratique la rééducation périnéale à Genève et enseigne à HESAV (dans le cadre du CAS physiothérapie en pelvi-périnéologie) en plus de son doctorat. Elle s’est très tôt investie pour la santé des femmes et intéressée aux politiques de santé publique à l’international. Elle a ainsi travaillé six mois à Montréal avec la professeure Chantale Dumoulin, spécialiste des problèmes urogynécologiques des femmes âgées. « Certains dysfonctionnements liés aux violences sexuelles peuvent aggraver les problématiques périnéales rencontrées par les femmes âgées, explique Tara. Prolapsus génital, fistule, incontinence anale : cela pourrait être évité si on levait les tabous qui leur sont associés ».

A l’enquête symptomatologique et clinique s’ajoute ainsi une étude sur les représentations des dysfonctionnements pelvi-périnéaux et leurs conséquences socioéconomiques pour les femmes concernées. Le travail de Tara se focalise de plus sur l’est du pays, où les violences sexuelles sont nombreuses au regard des conflits qui s’y déroulent. Prendre en compte les représentations associées à ces violences est alors essentiel pour penser une réponse thérapeutique en accord avec les besoins. « Les conséquences psychologiques des violences sexuelles sont principalement étudiées en Occident, ajoute Tara. Les représentations à ce sujet sont très différentes en RDC et vont déterminer l’acceptabilité des traitements ».

Une approche globale de la santé publique

Les résultats de ce vaste projet doivent, en premier lieu, permettre de proposer des soins pertinents pour les dysfonctionnements pelvi-périnéens découlant des violences sexuelles. La prise en charge doit être intégrale et interprofessionnelle (généraliste, gynécologue, urologue, coloproctologue, sage-femme, physiothérapeute, psychologue ou psychiatre, assistant.e social.e), centrée sur la patiente et ses besoins, dans le cadre d’une approche biopsychosociale.

Mais les applications envisagées ont vocation à adresser la question dans son ensemble : « Former les professionnel.les en RDC au diagnostic et à la rééducation d’une part, informer les femmes et la population d’autre part, développe Andy-Müller. Nous souhaitons également sensibiliser les autorités à ces conséquences à long terme, pour favoriser l’intégration de ces éléments au sein des formations cliniques et pour assurer l’accessibilité, notamment financière, des traitements ».

« Le sujet dépasse par ailleurs les frontières de la RDC, complète Tara. Un tel projet nous donne des éléments tangibles pour développer les compétences culturelles des thérapeutes en Suisse et en Europe face à ces femmes immigrées ayant vécu des violences sexuelles. » Le choc culturel lié à la différence de perception des actes qu’elles ont subi peut induire de la détresse chez les personnes concernées. Considérer ces traumas en comprenant ces différences culturelles permet de mieux accompagner les femmes dans le soin.

En savoir plus

Ce projet est financé par la Société International de Rééducation en Pelvi-Périnéologie (SIREPP) et la HES-SO.

Il est porté par la professeure Jeanne Bertuit (HESAV, Suisse) et la professeur Betty Miangindula (Université de Kinshasa, RDC).

Il se déroule en collaboration avec la professeure Véronique Feipel et la professeure Jennifer Foucart (Université Libre de Bruxelles, Belgique), la docteure Jasmine Abdulcadir (HUG) et le professeur Denis Mukwege (Hôpital de Panzi à Bukavu, RDC), prix Nobel de la Paix en 2018.