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Documenter le vécu des femmes enceintes en cas de diagnostic du cytomégalovirus

Le cytomégalovirus infecte chaque année 400 à 800 femmes enceintes en Suisse, avec potentiellement de lourdes conséquences pour le fœtus. Pauline Sartori, sage-femme, documente dans son travail doctoral les savoirs de ces femmes et leur expérience du diagnostic. L’objectif : considérer leur vécu émotionnel et les facteurs qui l’influencent pour assurer une meilleure prise en soins.

Pour une femme qui reçoit un diagnostic d’infection au cytomégalovirus (CMV) pendant sa grossesse, le choc est double. « En premier lieu, il y a de l’inquiétude pour le développement du fœtus », raconte Pauline Sartori, sage-femme depuis quinze ans et doctorante à HESAV sous la direction du Pr. Léo Pomar. En effet, le CMV peut potentiellement impliquer des malformations, des lésions neurosensorielles ou une infirmité moteur cérébrale. « Ces lésions peuvent même amener au décès du fœtus ».

Pauline Sartori, sage-femme, documente les savoirs des femmes et leur expérience du diagnostic.

Un registre suisse répertorie toutes les données lorsqu’une infection au CMV est diagnostiquée dans l’un des cinq hôpitaux universitaires ou dans l’un des sept hôpitaux cantonaux partenaires. Ce projet d’envergure, financé par le FNS et mené à HESAV par le Pr. Léo Pomar, vise à mieux connaître ce virus et ces conséquences sur le développement des fœtus. L’un des volets de la thèse de Pauline Sartori consistera à évaluer le bien-être émotionnel des femmes enceintes confrontées au diagnostic d’infection à CMV pendant la grossesse et d’identifier à partir de ce registre divers facteurs socio-démographiques et relatifs à leur suivi de grossesse pouvant influencer leur expérience de grossesse. « J’y documenterai également les savoirs et les pratiques qui entourent le CMV, tant du côté du personnel soignant que des patientes ». Son projet contribue ainsi au débat actuel sur l'introduction d'un dépistage systématique du CMV pendant la grossesse en proposant des recommandations basées sur les preuves cliniques.

Le vécu émotionnel des femmes au cœur des préoccupations

Le deuxième choc, c’est le sentiment de trahison, dont Pauline Sartori est fréquemment témoin dans le cadre de son activité. « Les femmes connaissent en général mal le CMV, poursuit-elle, et par manque de connaissance également, le personnel soignant informe peu des possibilités de dépistage en début de grossesse, du but du diagnostic prénatal en cas d’infection ou des options de traitement antiviral ». Le taux de dépistage du cytomégalovirus (CMV) auprès des femmes enceintes varie fortement d’un canton à l’autre et n’est à l’heure actuelle pas systématique. « Il y a la colère de n’avoir pas été informée correctement et de n’avoir pas pu agir en pleine connaissance de cause ».

A ce manque d’information s’ajoute une absence de suivi, car aucun protocole n’est établi pour soutenir les femmes concernées. « C’est habituellement le rôle des sage-femmes de prendre le temps pour informer et soutenir, explique Pauline Sartori. Or, lors du diagnostic, les patientes sont aiguillées vers d’autres spécialistes, parce que leur situation relève soudain du pathologique ». Dans le parcours labyrinthique qui s’en suit, le temps se perd pour expliquer et prendre soin de la santé psychique des femmes.

« Sur le terrain, j’observe les conséquences de ce choc émotionnel sur la santé des femmes et la suite de leur grossesse, regrette Pauline Sartori. Ce travail a vocation à favoriser leur sécurité, leur capacité d’agir, mais aussi à rendre possible l’attachement de la mère à son enfant quand les diagnostics le permettent ». A travers l’écoute des femmes concernées, la thèse vise aussi à assurer l’adéquation du suivi avec leurs besoins et leurs attentes. « Le critère de l’acceptabilité des prises en soins est fondamental pour que les patientes s’impliquent dans leur santé », affirme Pauline Sartori.

Le CMV, quelques informations-clés

Le cytomégalovirus (CMV) est responsable de l'infection congénitale la plus fréquente et représente la première cause de handicap neurosensoriel acquis chez l'enfant. En Suisse, sa prévalence est estimée à 0,5% des grossesses. A la naissance, 10% des enfants infectés sont symptomatiques et 5 à 15% des enfants asymptomatiques présentent une perte auditive ou des troubles du développement neurologique tardifs.

L’infection se produit par contact avec la salive ou l’urine. Le risque concerne ainsi en priorité les femmes qui ont déjà des enfants ou qui sont en contact régulier avec des enfants, surtout en bas âge. Plus tôt la contamination survient au cours de la grossesse, plus les lésions potentielles sont graves. A partir du deuxième trimestre de grossesse, le risque de séquelles liées à l’infection est très amoindri.

Le dépistage sérologique s’effectue idéalement avant la conception et pendant le 1e trimestre de grossesse. En cas de suspicion d’infection maternelle au moment de la conception ou lors du 1er trimestre, une amniocentèse est proposée à partir de 17 semaines de grossesse pour diagnostiquer une transmission de la mère au foetus. Si l’infection du fœtus est confirmée, une échographie régulière permettra de rechercher les éventuelles lésions cérébrales et leur évolution. Si des lésions sévères et permanentes sont constatées, le personnel soignant pourra informer le couple de la possibilité d’avoir recours à une interruption thérapeutique de grossesse après approbation d’un comité d’éthique multidisciplinaire. Dans le cas où la grossesse va au terme, un suivi sur 5 ans vérifiera l’évolution d’un éventuel handicap neurosensoriel (principalement surdité) ou des potentielles déficiences.

Un traitement rétroviral existe, qui peut freiner la progression des lésions mais ses effets restent pour l’heure incertains. C’est pourquoi son utilisation n’est pas encore réglementée en Suisse. Il est ainsi utilisé à titre préventif dans certains établissements, après avoir informé les couples de son utilisation « off-label ». Le projet CMV-preg, dans lequel s’inscrit la thèse de Pauline Sartori, doit contribuer à harmoniser les pratiques en périnatalité en Suisse romande à partir de preuves cliniques (CMV-preg).