Symposium Assistances à mourir : la Suisse, un modèle?
Pourquoi vous intéressez-vous à l’assistance à mourir ?
J’ai commencé à travailler sur l’aide médicale à mourir sous l’angle de la souffrance psychique, ce qui est du ressort de ma spécialité. En effet, la loi québécoise prescrit qu’une personne est admissible à l’aide médicale à mourir si elle fait preuve d’une souffrance psychique ou physique insupportable, ce qui doit être corroboré par deux médecins. La question que l’on est pose est : comment évaluer une souffrance psychique ? Comment la qualifier d’insupportable ? C’est une problématique à laquelle, en tant que psychiatre, je peux contribuer et j’y ai consacré un travail de recherche.
Qu’est-ce qui vous a motivée à participer au symposium ?
Je dirige la thèse de doctorat de Samuel Blouin, co-organisateur du symposium, ce qui m’a valu une invitation. Faire un comparatif m’intéressait. Par exemple, le motif de la souffrance est mis en avant-plan dans certains pays comme la Belgique, alors qu’il n’est pas du tout considéré dans d’autres, comme les Etats-Unis. A ce sujet, la Suisse connaît une position intermédiaire car la souffrance n’est pas un critère légal mais, dans la réalité, ce sont des associations qui prennent en charge l’assistance à mourir, et elles peuvent alors en tenir compte. Il me semblait que cela valait la peine d’avoir une idée globale de la manière dont ces aspects sont compris et appliqués au niveau international.
A l’issue de la semaine, que retirez-vous de cette rencontre ? Cette semaine a-t-elle nourri vos réflexions/votre recherche ?
Oui, j’en retire plusieurs choses. Pour commencer, les termes (et donc les concepts) ne sont pas toujours définis de la même façon, ce qui complique le dialogue à l’échelle internationale même si l’on discute dans la même langue.
Ainsi, c’est en travaillant ensemble qu’on se rend compte qu’il y a des questions de fond comme « qu’est-ce que le suicide ? », parce qu’il y a beaucoup de situations pratiques où les gens se dirigent vers leur propre mort et il est difficile de déterminer s’il s’agit de suicide ou pas. C’est un concept difficile à saisir, ce qui pose des questions normatives et éthiques.
Et dès qu’il s’agit de travailler en plusieurs langues, il s’avère que certains termes ne se traduisent pas. Par exemple, au Québec, le concept d’accompagnement du patient est au cœur de la loi. Mais dans la loi canadienne anglophone, ce concept est difficilement traduisible. Et nous sommes dans le même pays ! Il y aura bien une traduction littérale mais elle n’aura pas le même sens.
Par ailleurs, les différents pays ont aussi plusieurs pratiques qui sont semblables mais pas identiques et le pourquoi des différences est toujours intéressant.
Finalement, la présence d’un panel de spécialistes de disciplines différentes nous a permis de confronter des visions très différentes. Je pose un regard de médecin qui se préoccupe de la santé, la qualité de vie, les années à vivre, par exemple. Mes collègues sociologues vont regarder les relations humaines, la vision de la mort ou comment l’aide médicale à mourir change le regard de la société sur la mort.
Comment situez-vous la pratique en Suisse par rapport à celle de votre pays ?
Je vais parler du Québec, mais il faut d’abord différencier l’euthanasie du suicide assisté. Dans le premier, c’est une tierce personne qui accomplit le geste mortel, dans le second, c’est la personne concernée. En Suisse, l’euthanasie n’est pas légale, au contraire du suicide assisté. Au Québec, seule l’euthanasie est autorisée . Légalement, l’aide médicale à mourir est définie comme un soin que le médecin est tenu de pratiquer. A noter qu’il y a aussi une loi fédérale qui permet les deux, ce qui place la pratique québécoise entre les lois provinciale et fédérale. Nous savons que, lorsque les gens ont le choix, c’est l’euthanasie qui prévaut.
La Suisse est-elle un modèle à suivre ? Est-ce seulement possible de l’appliquer ailleurs ?
C’est un modèle qui a été dans un premier temps exclu des discussions sur la loi québecoise. Ceci parce que c’est la profession médicale qui a poussé à légiférer. Or le médecin voulait un modèle où il pouvait assurer la sécurité de l’acte. Après ma semaine ici, je découvre une pratique démédicalisée qui fait de l’assistance à mourir un choix citoyen au lieu d’un choix de patient. Le fait que ce soit un acte citoyen change le sens de la mort d’une personne. Nous avons quelque-chose à apprendre de cette approche non médicale.
Cela valait donc la peine de traverser l’Atlantique ?
Oui, j’ai beaucoup apprécié l’accueil et l’hospitalité de HESAV, la qualité de l’organisation de ce symposium qui était très bien réfléchi. Ça m’a vraiment apporté quelque-chose d’entendre ce qui se passe ailleurs. J’ai acquis une vision très différente grâce à cela.
Mona Gupta et Samuel Blouin, le team Québec du Symposium